MANIFESTE INCERTAIN / 3 de Frédéric Pajak 

9782882503534

Dans le troisième tome de son Manifeste incertain, Frédéric Pajak retrace les dérive de deux hommes, deux penseurs fragiles emportés par la violence de l’Histoire. C’est la mort de Walter Benjamin épuisé de douleur à la frontière d’une liberté impossible en septembre 1940 au poste frontière espagnol de Port Bou ; c’est le délire paranoïaque qui gagne Ezra Pound et sa fascination pour Hitler et Mussolini qui le mèneront vers la folie et la prison puis l’asile. Ce que la guerre fait aux hommes, à ces hommes-là qui serrent contre eux leurs manuscrits en boucliers dérisoires, c’est ce qu’explore le récit écrit et dessiné de Frédéric Pajak.

Plonger dans le Manifeste incertain est une expérience de lecture haletante et singulière. Double lecture en vérité de ces pages presque toutes dessinées autant qu’écrites. Puissance et précision des dessins à la plume, textes courant leur chemin au dessous des images,  tracent deux parcours parallèles, démultiplient l’expérience. Le rythme de la lecture est d’abord rapide, on est tenté de voler d’un dessin à l’autre, l’érudition du texte retient, l’image entraîne, la profondeur du récit aspire. Le chemin des images et celui des mots s’entrelacent, le voyage du dessinateur est tracé par celui de l’écrivain, cependant il ne s’agit pas ici d’illustration mais bien d’écriture.

681829-nouvelle-image

En parlant avec Frédéric Pajak j’ai appris avec stupeur qu’il ne dessinait que pour ses livres, qu’il ne dessinait que pour écrire, sur le motif lors de ses voyages de repérages, ou en revisitant des photographies souvent connues, images repères sur les chemins de la mémoire. C’est ce qu’il dit en d’autres mots dans le livre, relatant sa rencontre dans un bar avec un inconnu, en prélude à une nuit de dérive alcoolisée à Marseille.

– C’est quoi ton job Frédéric ?
– Je suis peintre. Mais je te rassure, je ne peins pas.
– Ah ?
– Je vois le monde en peinture, ça me suffit.

images

Car dans le livre Pajak parle aussi de lui et se dessine, dresse un bilan implacable de son parcours et de celui de sa génération. Pour tous ces « rescapés d’un monde douillet », ce monde qu’ils n’ont pas su changer, Pajak construit une œuvre en forme de résistance, contre la faillite du langage et celle de la pensée, contre l’amnésie mortifère, en réinscrivant les images et les mots.

« Ce qu’on a appelé capitalisme, qu’on nomme volontiers libéralisme et qu’on voudrait définir comme une réalité où les rapports de force seraient dictés par la concurrence et le profit, cette société mondiale qui irait sans boussole secrète ce qui lui manque, ce qui se niche dans son absence, c’est à dire un monde vivant dans le monde achevé. Et ce monde n’est rien de moins que la conscience du temps, et son expérience. Plus que par la philosophie, c’est peut être par la poésie que commence l’Histoire. »

 MANIFESTE INCERTAIN / 3 par Frédéric Pajak. Ed Noir sur Blanc